Christophe Garcia s’associe à l’auteure québécoise Érika Tremblay-Roy pour adresser une pièce en forme de jeu de piste, où doucement se trace le chemin du deuil et s’écrivent les mots pour dire au revoir. À travers la lecture de nombreuses lettres déposées au bord d’une route de campagne pour trois jeunes filles, l’absence d’une quatrième se dessine dans le filigrane d’un espace, le village, et d’un temps, celui de la structure familiale, à l’échelle de la compréhension enfantine. Parmi les confidences, la curiosité entière d’un petit frère à naître, la quiétude bienveillante d’un grand-père déjà éteint…
Et toujours cet oiseau qui revient, qui semble vouloir livrer un message. Lettre pour Éléna retrouve KLAP pour une représentation exceptionnelle.
La question du deuil chez l’enfant est un sujet délicat. L’équipe de création qui signe Lettre pour Éléna relève le pari haut la main grâce à la plume habile d’Érika Tremblay-Roy et aux chorégraphies de Christophe Garcia.
« C’est l’histoire de quatre amies. Trois plus une. » Trois amies inséparables, Françoise, Lucie et Aïsha, qui aiment courir, danser, virevolter, s’amuser. Elles sont trois comme l’eau, le feu, la terre… comme le cœur, le pique, le carreau, trois comme le nord, le sud, l’est… comme le printemps, l’été, l’automne… Non, ça ne va pas. Il en manque toujours une. Sur le bord d’une route de campagne, elles ouvrent une à une les lettres déposées là pour elles. Mais aucune n’est d’Éléna. Pourquoi?
Le spectacle s’ouvre sur ce qui prend presque les allures d’une berceuse accompagnée de gestes, ceux qui illustrent l’herbe qui pique, les pieds qui s’enfoncent dans la terre meuble, le vent dans les cheveux, la route… L’histoire s’assombrit au fur et à mesure que les lettres lues par les fillettes laissent comprendre le drame qui s’est joué là et qui n’est pas celui que l’on croit. Ces lettres, tantôt lumineuses, tantôt explosives, secrètes ou à lire les yeux fermés, soulignent avec finesse de quelles manières différentes le deuil affecte chacun dans une communauté.
Lettre pour Éléna se voit et s’entend comme un poème et offre un mariage heureux du geste et de la parole, l’un complétant l’autre dans un ballet qui évoque aussi bien la joie d’un jour d’été, à courir à travers champ, que l’incompréhension, le manque face à une amie absente. La production signée Le Petit Théâtre de Sherbrooke et La [Parenthèse] (France) trouve le ton juste pour parler du deuil même quand on n’a pas toujours les mots qu’il faut pour l’exprimer.
Sur scène, les trois interprètes vêtues de rouge (très justes Marion Baudinaud, Alex-Ann Boucher et Julie Compans) sont l’image même des trois mousquetaires, toujours prêtes à bondir, à parler ou à s’agacer (je suis la plus forte, je suis la plus belle, je suis la plus drôle!). Dans leur bouche, l’écriture de Tremblay-Roy évoque tout en subtilité le sujet du deuil à travers l’amour que ces fillettes se portent l’une l’autre. Difficile de ne pas sentir monter l’émotion lorsque les fillettes lisent la lettre du camionneur qui ne les a jamais vues surgir sur la route et quand on les voit reprendre, pour conclure, le fil de cette journée en dansant sur un air de Schubert. La trame de l’auteure fait vibrer la corde sensible, chez les petits comme chez les grands. C’est plein de tendresse, de beauté et de douceur.
Lettre pour Éléna est une longue déclaration d’amour et d’amitié, un touchant moment pour apprendre à dire au revoir.