"Choisir une musique, s’inspirer de son titre pour écrire une chorégraphie n’est pas habituel pour moi. Dans le cas présent, je dirai que pour un chorégraphe contemporain français, il ne faut pas moins 2 à 3 ans pour s’attacher la collaboration d’un orchestre symphonique, et que la commande conjointe de travailler avec un nombre important de danseurs et un tel outil musical est une proposition de grand bonheur.
J’aime la musique de Dutilleux pour son ouverture spatiale tout autant que pour son détail. Alors, rien n’est plus simple, puisqu’il n’existe aucun système derrière lequel s’abriter, qu’il faut inventer pour chaque instant l’équilibre qui permettra à la danse comme à la musique d’exister pleinement, indépendamment mais sans refus de l’autre, peut-être au service de l’autre. Ma danse, j’espère, aidera certains à découvrir cette musique, et je suis convaincu que celle-ci saura porter ma danse.
Sur le magnifique concerto pour violoncelle et orchestre Tout un monde lointain de Henri Dutilleux, j’appuie l’idée d’une quête d’un être vers un autre être, inconnu. Cette idée simple ne l’est pas pour moi autant qu’il paraît au 1er abord, car la narration ne m’intéresse pas beaucoup. En revanche, dans la recherche de l’autre, l’hypothèse d’une découverte et de son frémissement, le rapprochement puis enfin la rencontre, je trouve autant de prétextes à écrire les danses. Il fallait un nombre impair, ici 17 danseurs, de façon que sur l’un d’entre eux se cristallise la quête."
Michel Kelemenis, Mars 1997
Juin 1997
Kelemenis fait danser Genève
Réaliser une chorégraphie sur le bouleversant Concerto pour violoncelle d’Henri Dutilleux relevait de la gageure, même si le compositeur a déjà offert 2 purs chefs d’œuvre à la danse Le loup (Roland Petit) et Métaboles pour Peter Van Dyck. Cette fois, nul livret, mais l’imagination débordante de Michel Kelemenis. Ce chorégraphe est sans doute l’un des très rares dans la danse contemporaine à pouvoir exalter un corps de ballet classique sur une partition majeure, sans aucun faux intellectualisme. Kelemenis écoute la musique avec son cœur et il la ressent jusque dans ses muscles. Il a communiqué cet élan généreux aux danseurs genevois.
Mars 1997
Belle échappée classique pour Kelemenis le contemporain
Le ballet est un mouvement perpétuel Des créatures qui se dessinent délicatement dans un décor discret, presque une esquisse, se meuvent comme si elles s’ébattaient dans un jardin. Les créatures sont vibrantes tout en ayant la beauté posée des statues pour jardin aromatique. Cela commence par un petit mouvement de main, cela s’achève par un corps reposant au sol. Entretemps, on assiste à un multitude d’événements chorégraphiques, à des respirations communes, à des ensembles toujours contredits. C’est une ballet de l’échappée où rien jamais ne s’installe. C’est aussi un ballet bavard qui parle beaucoup avec les bras, qui s’envole dans des moulinets. C’est rempli de vie, de petits cris, et de chuchotements. Impression de foule et d’isolement.
En travaillant avec le ballet, Kelemenis affirme ses traits classiques tout en conservant la danse directe qui le caractérise, ses trainées de regrets, ses gestes qu’il emprunte a quotidien, à l’Espagne, au baroque. Le rapport à la musique est de la même intelligence, en procédant par des rendez-vous amoureux.