À l’approche du trentième anniversaire, en 2017, de la compagnie qu’il anime, Michel Kelemenis ouvre, non sans autodérision ni sans humour, son journal d’artiste. Issu du bouillonnement de la Jeune danse française des années 1980, il ravive en quelques duos des pages historiques ou décalées du parcours d’un danseur devenu chorégraphe avant même de fonder son propre outil de création.
1984, année charnière.
La danse en France connaît un élan structurant inédit sous l’ambassade fondatrice de Brigitte Lefèvre. La carte des premiers Centres Chorégraphiques Nationaux se dresse ; une oeuvre essentielle de Dominique Bagouet, Déserts d’amour, marque la création de celui de Montpellier. Jouant des coudes au sein de la compagnie qu’il rejoint l’année précédente, Michel Kelemenis s’essaie déjà à la chorégraphie avec 10 minutes d’écoute musicale dont il adresse la fantaisie à ses ainés. Avec Angelin Preljocaj qui, lui, arrive au terme de son parcours montpelliérain, il entre dans une joute geste à geste durant laquelle aucun ne cède à l’autre la moindre prééminence : Aventure coloniale, duo créé durant le festival d’été, enflamme le Théâtre de Paris, Rue Blanche, lors du lancement du Théâtre Contemporain de la Danse, ancêtre du désormais Centre National de la Danse. Les trois pièces sont reliées par le mode de composition que développe alors Bagouet, appuyé sur l’écriture de modules gestuels repris dans un espace variant.
Michel Kelemenis fonde sa compagnie en 1987 et l’installe deux ans plus tard à Marseille. De pièce en pièce, l’intuition se précise d’une danse capable de dire le monde par elle-même. Difficile à classer mais clairement reconnaissable, l’identité de son travail repose sur une danse organique et virtuose, nuancée plutôt que contrastée. Le chorégraphe invité par des compagnies de ballet considère progressivement sa propre structure comme le laboratoire d’une recherche qu’il se plaît à confronter à d’autres corps. La Danse de Mélina, parmi bien d’autres chorégraphies, gagnera par exemple des danseurs et danseuses de fondement classique, quand Image, dans sa version en double duo, ira jusqu’à intégrer la technique des pointes.
L’accomplissement -conceptuel en même temps que sensuel- du langage gestuel se nourrit des transmissions à des corps formés autrement, mais s’enrichit aussi de la transformation d’éléments déjà existants. Avec Reflet, Michel Kelemenis signe un palimpseste. Les danses du quatuor féminin Aphorismes géométriques se joignent à celles, plus récentes, des hommes inspirés par le parfait miroitement du lac salé de l’oasis de Siwa. Les deux sources rappellent cette réflexion permanente entre abstraction et incarnation, propre à la présence dansée.
Les interprètes du programme accompagnent le chorégraphe depuis plusieurs années. Leur engagement et leur talent lui auront inspiré cette soirée singulière, durant laquelle se trace, non sans sourire, un parcours de création long de plus d’une trentaine d’année.