Henriette est donc l’héroïne de notre petite fable. La résonance des prénoms est amusante. Mais une véritable Henriette Darricarrère, pendant les années 1920, aiguillonna la main du peintre…
Entre inspiration et muse, savoir faire et invention, réel et représentation, entre reproduction et stylisation, nos 4 personnages, l’artiste, le modèle, le pinceau du trait et celui de la couleur, dansent et dessinent les courbes du corps. Sur scène et en mouvements, se développe une histoire ludo-picturale de l’acte de création.
Car les enfants sont meilleurs lecteurs de l’art qu’on le suppose. Dans leur innocente et vorace collecte d’informations, chaque découverte est potentiellement d’égale importance à chaque autre : il n’y a pas d’étrangeté, que des possibles !
L’œuvre d’Henri Matisse, marquée par de nombreuses « danses », est un trésor pour dialoguer avec l’enfance. Sa quête d’une vie, d’une essence de la Peinture, le porte à simplification, et, si la figuration littérale s’éloigne au fil des années, jamais l’artiste ne renonce aux galbes du corps comme substance de son inspiration. Lorsqu’il s’écarte de la forme traditionnelle de la peinture, c’est pour inventer les très fameux découpages de couleurs en aplat. Cette technique marque une dernière période très importante de son œuvre ; elle témoigne du combat du trait et de la couleur, caractéristique de la recherche du grand peintre.
À vos gestes, à vos pinceaux, à vos ciseaux… Et de danses en aquarelles en découpis, hantez les théâtres, hantez les musées et rêvez en couleurs.
Michel Kelemenis
8 oct. 2010
La Biennale de la Danse de Lyon au Théâtre des Salins de Martigues, toujours ce même enthousiasme : enfants, parents et professionnels de l’éducation jubilent en découvrant l’univers du peintre. Nous sommes à la fois au musée, dans l’atelier et au théâtre. Qui plus est avec un chorégraphe ! Michel Kelemenis nous offre, avec Henriette & Matisse une immersion dans la beauté, dans la création et le chaos. Imaginons Matisse et son chapeau de paille, interprété par Davy Brun, tour à tour Artiste et probable grand frère pour les tout-petits. Rêvons d’Henriette, le Modèle, la muse (troublante Caroline Blanc) dont la beauté fait tache d’huile sur la toile blanche d’un film d’amour, de capes et de fées. Jouons avec deux pinceaux (espiègles Lila Abdelmoumène et Tristan Robilliard) qui, peu à peu, glissent entre nos mains comme les deux baguettes du chef d’orchestre.
À quatre, ils occupent la scène dans tous ses recoins pour pousser les cloisons de nos imaginaires. De la salle, les « Ouah », « Ouh la la », « c’est magique » ponctuent en cadence la création de la toile jusqu’au silence le plus absolu alors que le clair de lune de Debussy éclaire les Nus bleus de Matisse. L’émotion serre la gorge comme si nous étions bercés par le chorégraphe, ébloui par le peintre. Ces deux-là seraient-ils complices pour puiser dans nos fragilités les ressorts de notre sensibilité ?
Henriette & Matisse, sont nos ailes du désir à moins que ce ne soit le nom d’un bonbon à la réglisse aux effets secondaires. C’est une invitation à la poésie, à se rapprocher les uns des autres. Cette œuvre crée la communauté au moment où tant de liens se distendent. Il y a chez Michel Kelemenis le désir d’un art total profondément accueillant qui ne laisserait personne de côté. Les conditions de l’invitation sont donc réunies. Ici, la musique joue son rôle d’aiguillon : tout à la fois polissonne, déroutante, envoûtante, pénétrante, elle débusque à chaque tableau ! Mieux qu’un guide de musée, elle pose ses petits cailloux pour petits et grands poucets. L’univers du peintre est un théâtre à l’italienne où nous pénétrons de nuit pour jouer à nous faire peur avec les fantômes (c’est bien connu, ils sont partout), où le décor de papier vous tombe dessus comme une toile de cinéma et s’enrôle autour des corps pour faire valser les couleurs.
La danse provoque l’alchimie entre les matières, créée la troisième dimension du tableau, génère le mouvement évanescent du geste créatif. Elle vous emporte et vous déplace pour que chacun d’entre nous soit traversé. Ainsi, Henriette & Matisse n’est plus seulement une invitation à ressentir ces peintures mythiques. C’est une œuvre qui peint la danse comme un mouvement populaire.
Pascal Bély - www.festivalier.net Henriette & Matissede Michel Kelemenis à la Biennale de la Danse de Lyon du 30 septembre au 2 octobre 2010 et au Théâtre des Salins de Martigues du 5 au 7 octobre 2010.
2 oct. 2010
Danse / Jeune public
À la Biennale de Lyon, avant Martigues la semaine prochaine puis Aix-en-Provence, Michel Kelemenis fait entrer les enfants dans l’univers du peintre.
Matisse et les minots
La Maison du peuple de Vénissieux, dans la banlieue de Lyon, jeudi matin ; des dizaines d’enfants vont entrer dans l’univers d’Henri Matisse, guidés par Michel Kelemenis et ses quatre danseurs ; invité une nouvelle fois par la Biennale de la danse dirigée, pour la dernière fois, par Guy Darmet, le chorégraphe marseillais y crée son deuxième spectacle destiné au jeune public, alors que L’amoureuse de Monsieur Muscle a atteint le chiffre symbolique des 100 représentations.
Plongeon en création
Ouverture en blanc : une famille, papa, maman, fiston et fillette, vont au musée ; s’il faut y faire silence, les tableaux et sculptures invisibles les entraînent très vite dans une ronde étourdissante. Une plongée dans l’art qui, dans le bain d’un projecteur, fait basculer le spectateur dans l’atelier d’un peintre qui semble avoir fort à faire.
Dans la peu de Matisse, Davy Brun parvient avec subtilité à traduire en mouvements les affres de l’artiste aux prises avec une inspiration qui vagabonde, lui échappe, jusqu’à ce qu’une muse, de chair et de tulle rouge, ne vienne enfin le sauver : Henriette (Caroline Blanc, qui allie beauté, malice et fluidité) déclenchera pourtant une autre lutte dans les désirs d’art du créateur et dans sa quête d’abstraction figurative : le combat du trait et de la couleur.
Nu bleu et clair de lune
Tels deux lutins, ou des pinceaux chamailleurs, les tout jeunes Lila Abdelmoumène et Tristan Robilliard incarnent cette dialectique essentielle dans l’univers du peintre, avec une joie et une énergie communicative ; dans la salle, les minots jubilent avant de s’émerveiller lorsqu’apparaît le fruit de cette bataille esthétique : le célèbre Nu bleu, qui prend vie et se multiplie, élégante et étrange à la fois. A la légèreté des élancées pops, ludiques et pétillantes, swing pianistique ou bossa sucrée, très 50’s d’une bande son concoctée avec soin par Olivier Clargé, succède alors le délicat Clair de lune de Debussy. Un final suspendu, tout en poésie, magnifié par la scénographie de Bruno de Lavenère : de grands accordéons de papier ; qui tout au long de l’opus forment comme par magie des paysages féeriques et finissent par "sertir" l’oeuvre. Retour au tableau, la vie entre dans l’art.
Passion et transmission
Henriette & Matisse - un titre qui évoque l’une des muses préférées de Matisse dans les années 20, Henriette Darricarrère, qui, il n’y a pas de hasard, était danseuse ... - est l’aboutissement pour le chorégraphe d’un rêve ancien : "depuis longtemps, ce désir me travaille, j’avais envisagé plusieurs choses, notamment une forme muséale, mais pour des raison économiques, c’était très risqué."
"Après avoir célébré ses 20 ans et initié le projet deQuestion de danse, la compagnie était exsangue financièrement ; le choix de proposer de nouveau un spectacle destiné aux enfants, après le succès deMonsieur Muscle, s’imposait. Parce que des diffuseurs nous le demandaient, alors qu’ils auraient refusé un spectacle plus "adulte". C’est une réalité pour l’ensemble du spectacle vivant, peut-être encore plus dans le champ chorégraphique", affiche-t-il sans ambages. "Il y a cependant une logique dans mon histoire et celle de la compagnie, qui a notamment mené durant 10 ans le projet des "Classes-Cousines" : tout comme le soutien aux acteurs chorégraphiques de Marseille et sa Région, les enfants seront au coeur du projet de Centre de danse en résidence, qui ouvrira dans un an. Parce qu’ils sont l’avenir de tout, et que ce qu’on ne leur lègue pas est voué à disparaître..."