Viiiiite, ou comment mettre en scène l’évanescence du mouvement dansé. Le constituant principal du duo est une phrase gestuelle délivrée à l’unisson comme un axiome, ensuite reprise et décomposée pour en mémoriser visuellement les éléments et simultanément l’éloigner. Les ruptures du flux gestuel débridé, brutales, figent des formes graphiques empruntées au solo Clin de lune, lui-même écrit par Michel Kelemenis en 1993 suivant les notions de disparition et d’éloignement : traces de traces… La mise en abîme par l’accident et l’immobilité rappelle que l’immensité de la part cachée de la mémoire peut surgir sous forme de bouffées et d’émotions violentes au détour d’instants aussi soudains qu’anodins : par exemple, voir une photographie, croiser l’effluve d’un parfum…
En appelant le souvenir, l’introspection d’une danse sur elle-même tente de donner matière à une utopique espérance : celle de retenir l’éphémère du geste et d’en prolonger la rémanence.
Viiiiite, onomatopée d’une stridence, pointe la « mise en acuité » d’un esprit par une danse, la façon dont la mémoire s’inscrit dans l’esprit qui voit la danse, le plein qu’elle procure et le vide qui la suit…
Entre ces 2 pôles, l’évanescence est-elle matière ?
Michel Kelemenis
mai 2008
juillet 2009
Avec Viiiiite, Michel Kelemenis rend hommage à Déserts d’amour, une pièce de Dominique Bagouet qu’il avait dansée avec Catherine Legrand, en juillet 1984, au théâtre Grammont de Montpellier.
Se débarrassant de toute signification superflue, Bagouet faisait du corps du danseur un théâtre où se jouent les conflits du désir dans l’absence. Kelemenis choisit de les reconvoquer dans l’évanescence du geste, avec la complicité d’une danseuse de la compagnie., Caroline Blanc. La danse est ici absorbée comme un art d’écriture, avec des bras obstinément verticaux ou continuellement obliques, des corps penchés niant la verticalité, des bustes inclinés sur leur axe, une extrême vélocité des pieds, un dessin géométrique des bras et des jambes, des voltes fréquentes des poignets.
Par ailleurs, dans l’occupation de l’espace, des écarts saugrenus succèdent aux diagonales les plus pures.
Tout le pas de deux se déroule dans une nuit obscure criblée d’éclairs où le danseur, tel l’Orphée de Cocteau se préparant à traverser les miroirs, offre à sa partenaire des gants qui lui permettront de le suivre dans sa quête désespérée vers une symbiose originelle.
17.mars 2009
Kelemenis’s sheer poetry in (e)motion
FNB Dance Umbrella
Viiiiite and Besame mucho
Director : Michel Kelemenis
For the past decade French choreographer Michel Kelemenis has had an enduring relationship with South African dance, mainly through his connection to Moving into Dance Mophatong (MIDM).
Based in Marseilles, Kelemenis refuses to become part of the now fashionable non-dance movement in France.
His newly crafted duet, Viiiiite, created on himself and Kelemenis and Cie dancer, Caroline Blanc, is performed in the illumination of a revolving police light. To an edgy score the dancers dice with real physical time versus the ephemeral nature of movement. The liminal and subliminal merge in a chain of eclipses as two exquisitely lithe dancers surge through a twilight zone of existence - yet never touching , anticipating proximity. Two bodies, of different generations, are caught in a physical and intellectual web constructed from shifting perspectives and depths of field. Sheer poetry in evanescent (e)motion.
11/24.fev 2009
Cinétique électroacouCycle
[…] Toujours en mouvement, fluide, esthétique, et précise, la danse de Michel Kelemenis est d’une rare exigence – et d’une rare élégance, […]avec une partition chorégraphique élaborée sur la musique électroacoustique de Christian Zanési, déjà complice de ses œuvres depuis plus de dix ans. Vitesse et mémoire du mouvement sont les premières interrogations livrées et partagées entre la danseuse Caroline Blanc, toute en précision physique et en émotion sublime, et le chorégraphe, ici interprète. Viiiiite est donc un duo où la lumière, l’accélération et la répétition permettent une reconstruction du mouvement, dessinant des contours à la fois précis, grâce à la gestuelle fine des deux virtuoses, et flous, par la rapidité du mouvement. […] Enfin, Aléa, interprétée par sept danseurs, joue avec l’individualité dans le groupe, l’intuition qui génère le mouvement du groupe, dans une circulation ponctuée de pauses senties et ressenties. A la fois simple et hypnotique, la danse vibre. Nulle structure, mais un système, organique, fait de corps à l’écoute les uns des autres. Une écoute vivante des corps, emplie d’émotion à l’état pur.
Viiiiite et Aléa ont été présentées du 29 au 31/01 au Pavillon noir (Aix-en-Pce). Viiiiite et Disgrâce (en création) seront présentées dans le cadre du festival Les musiques en mai.
4 fév. 2009
Après avoir suivi le processus de répétition de Viiiiite et d’Aléa au cours du mois de janvier, la générale au Pavillon Noir m’impressionne. Je ressens la tension des corps après tant d’heures de travail. Nous sommes une cinquantaine dans la salle, comprenant les étudiants de Coline, structure menacée de disparition par les pouvoirs socialistes locaux. À la veille de la grève du 29 janvier, les trois œuvres de Michel Kelemenis sont un espace protégé où il me plaît de me ressourcer. Avec lui, la danse est un propos. C’est l’un des rares à faire cette recherche « fondamentale », à communiquer par la danse pour la danse, avec sérieux, créativité et empathie.
Les étudiants de « Coline » sont derrière moi, visages fermés. Le dialogue s’amorce sur leur sort et la place que pourrait jouer internet pour sauver leur structure de formation Peu de répondant. J’ai envie d’échanger avec eux sur la danse de Kelemenis...
Viiiite : Avec élégance, ils se présentent à nous, tout de blanc vêtu. Caroline Blanc et Michel Kelemenis font quelques pas, s’engagent dans des mouvements si harmonieux que l’on peut aisément étendre ses jambes et relâcher la pression. Mais à les voir enfiler de longs gants tout blancs, on comprend vite que le corps n’est plus qu’une apparition fugace, une émergence confirmée par la lumière d’un gyrophare. Il y aurait-il urgence tandis que les compagnies de danse sont priées d’entrer dans le moule d’une culture uniformisée ? Alors que notre société fait de la vitesse une échappatoire au sens, la force de Viiiiite est d’en faire une forme en soi. Soucieux de nous accompagner dans ce processus « spiralé » descendant et ascendant, Kelemenis joue avec la figure du clown ou du Pierrot de la Comédia del’Arte pour enrichir le propos et tapisser notre imaginaire d’images tout aussi fugaces, mais ancrées.
Cette danse-là, forme le regard, c’est le moins que l’on puisse dire. Alors que la lumière fait apparaître puis disparaître, elle est à son tour un mouvement comme l’odeur évanescente, symbolisée par le rapprochement des deux corps dans une sphère intime. Ainsi, Viiiiiteest une danse concentrique qui finit par vous englober. Avec Michel Kelemenis, la danse est avant tout l’art de la reliance.
Pause. Je me retourne. Je cherche avec eux quelques mots qui ne viennent pas. Étonnés par mes questions, apeurés aussi. Il leur est difficile de franchir les barrières entre danseurs-étudiants et spectateur.
TATTOO : Vingt minutes de plaisir à l’état pur, comme si le spectateur pouvait enfin jouer à cache-cache avec la danse, qu’elle soit contemporaine ou classique. Michel Kelemenis s’amuse, nous aussi. En s’appuyant sur les codes (dont les pointes), il déséquilibre le clivage en huilant les mécaniques de nos représentations. Cela en deviendrait presque subversif. Cette danse accueille, ouvre les verrous, se repose sur la fragilité de l’humain pour consolider l’articulation entre classique et contemporain. Le plaisir vous contamine même si l’on regrette les corps pas totalement habités des danseurs. À danser au-dessus des parties, il n’en faudrait pas plus pour être déstabilisé.
Pause. Les étudiants sont toujours là, derrière moi. Nous échangeons sur la technique des danseurs. J’évoque le plaisir de voir une œuvre au dessus des clivages. Étonnés, comme s’ils n’entendaient jamais cette parole de spectateur. Pour Coline, on fait quoi ?
Aléa : La dynamique des sept danseurs impressionne. Elle est danse. Michel Kelemenis ne se perd pas dans des effets de style ou des figures conceptualisés : ne compte ici qu’une recherche entre l’autonomie de l’individu, l’émancipation du groupe et un désir collectif qui prend forme. Ce n’est pas une danse qui impose, elle propose. À sept, ils dessinent avec leurs costumes de couleurs, la toile du peintre où vient résonner la musique électronique de Christian Zanési, tumulte de nos sociétés contemporaines. Et je m’étonne d’entrer au cœur de leur tresse, de n’en perdre aucun, de me mouler avec eux. Aléa est si fluide que chaque espace nous laisse une place. Le final, où chacun improvise dans le chaos, est le triomphe du « nous » sur le « je » concurrentiel, de l’art sur le « vide », de l’émancipation sur la soumission. C’est aussi une invitation pour le spectateur à entrer dans la danse, simplement. Sincèrement.
C’est fini. Ils sourient. Ils me tendent leur pétition papier pour les soutenir. Je signe, mais je les invite à constituer leur comité de soutien sur Internet. J’aurais bien envie de créer un collectif spectateur - danseur - chorégraphe. Comme un "Aléa" ...juste pour gripper.
Le hasard m’a mis dans les mains, au printemps 2007, un disque 78 tours : gravé par Pierre Schaeffer en 1949, il est essentiellement constitué de simples sons d’instruments (hautbois, flûtes, percussions métalliques…) présentés sous forme de sillons fermés, autrement dit se répétant à l’identique quelques instants. Il s’agit d’un des disques contenant les matériaux préalables à la composition de la « Suite pour 14 instruments » entendue pour la première fois sur Paris-Inter en novembre 1949. J’ai été frappé par la fragilité qui se dégageait de ces sons et je me suis senti comme un enfant découvrant dans un coffret oublié un très vieux film de famille. Je n’ai pris que quelques-uns de ces fragments, quatre ou cinq pas plus, et je les ai travaillés en les associant à des matériaux électroniques qui me tiennent à cœur aujourd’hui. J’ai conservé aussi - en le variant légèrement - ce rythme fameux du 78 tours (78 à la noire) qui me semble être une des clés du succès de la musique concrète des débuts. Petit à petit j’ai compris que je travaillais sur l’idée de la fragilité, avec ce sentiment de la disparition inéluctable des êtres et des choses.
Naïvement
Retarder un tout petit peu
L’impermanence.Christian Zanési, septembre 2007
Tours et détours en 78 tours est créée en novembre 2007,
dans le cadre des Transélectroacoustiques du GMEM, centre national de création musicale de Marseille,
et du Festival Olé !, fêtant le 20ème anniversaire de Kelemenis & cie.
Avec le concept évolutif de L’électroacouCycle , Kelemenis interroge ses essences de la danse, en plusieurs œuvres courtes que la musique électroacoustique relie, et en collaboration avec le compositeur Christian Zanési.
Aléa, septuor, explore les vertus de rassemblement, cinétiques et vibratoires, d’une circulation tressée.
Viiiiite, duo, où comment mettre en scène l’évanescence du mouvement dansé.
Disgrâce, pour 5 hommes seuls, s’interroge : la grâce peut elle sourdre de la disgrâce ?“L’incompréhensible crispation de se comprendre double à travers l’autre expression d’un autre.” Le chorégraphe évoque ainsi sa liaison profonde avec la musique de Christian Zanési. "Élaborée à partir de sons concrets que le compositeur fige, vrille, suspend ou casse, cette musique ouvre des champs électroniques immenses au milieu desquels surgissent les éléments vifs de la lecture du quotidien. Immédiatement poétiques, les espaces ainsi animés se rapprochent de l’esprit d’une bande-son de cinéma par la juxtaposition de tensions abstraites et d’événements suggérant l’hypothèse d’une narration. Les procédés d’écriture résonnent naturellement avec mon mouvement, développé dans une faille propre à la danse, figurant un intervalle entre deux dimensions du langage, l’une faite de signes sensibles, l’autre empreinte de fluidité ou de déséquilibres. "
Michel Kelemenis
TATTOO, créé pour le Ballet National de Marseille en novembre 2007, relève aussi du concept de L’électroacouCycle. 3 hommes et 2 femmes sur pointes se jouent du glissement vasculaire d’une danse dans une autre danse, contemporaine à classique, et inversement.