Un sextuor déjanté se joue de 12 versions de la célèbre chanson : la danse oscille entre pulsion et refus, tantôt fondue dans la musique, tantôt en résistance au message simple et éternel qu’elle véhicule.
"J’appelais une idée simple. Simple à exposer, simple à communiquer, attractive et propice par sa clarté à s’assombrir du trait épais d’une caricature. Je voulais m’opposer. Pour cela, il fallait choisir un point commun à tous, sur lequel appuyer toutes les tentatives, et par là, scrutant une fois de plus les extraordinaires relations qu’entretiennent danse et musique, tracer une métaphore de l’aventureuse adaptabilité humaine. Je voulais m’armer d’une belle chanson pour caresser l’hypothèse d’un espace de douceur incompressible, hermétique au déferlement et au catastrophisme exponentiel des nouvelles du monde."
Michel Kelemenis
La création de Michel Kelemenis se développe à partir des thèmes du désir inassouvi, du dépit amoureux et de la solitude. En parallèle à la populaire et très célèbre chanson Besame mucho, à laquelle le programme emprunte son titre, la danse oscille entre pulsion et refus, tantôt fondue dans la musique, tantôt en résistance au message simple et éternel qu’elle véhicule. Les nombreuses versions du standard musical sont arrangées, torturées et orchestrées à plaisir par le musicien collecteur Jean-Jacques Palix.
La signature (très) colorée de la styliste madrilène Agatha Ruiz de la Prada participe de la constitution d’un environnement de douceur joyeuse pour les 6 danseurs, que le chorégraphe baigne dans une délicieuse et obsessionnelle rengaine.
27 fev.2010
C’est à Lambesc, petite ville du pays d’Aix en Provence, où le chorégraphe Michel Kelemenis nous invite pour voir, revoir, « Besame Mucho ». Comme au bon vieux temps des tournées en caravane, je l’imagine transporter sa danse pour y déposer un mouvement poétique, ressource inépuisable d’un imaginaire partagé. Alors que nous vivons une crise profonde de civilisation, la danse doit quitter nos théâtres « dorés » pour s’engager dans les terres. Parce qu’elle est l’art de la régénérescence, elle se doit de labourer. Créée en 2004, cette œuvre régénère et prend le chemin de la chanson qu’elle honore : celle d’une danse intemporelle, au-delà des courants. « Besame mucho » est une danse où les mouvements chantent. Tout commence avec cette bouche grande ouverte de la toujours troublante Caroline Blanc. Ce cri de la naissance, de la solitude, de l’effroi, la danse va peu à peu l’apprivoiser, guider ses pas vers ses lèvres pour un baiser à « l’origine du monde »… Michel Kelemenis invente alors une danse de l’âme amoureuse et c’est prodigieusement magnifique. Profondément habité. Joliment habillé par les vêtements dessinés par Agatha Ruiz de la Prada aux couleurs verte et rose d’une sucette à l’anis. L’envie d’y goûter est immédiate. L’habit fait alors le moine. Ils ne les quittent jamais, juste les soulèvent-ils parfois, oui mais pas tout de suite, pas trop vite. Car il faut du temps pour que ce « besame mucho » réveille nos peurs, nos joies, nos angoisses de ce baiser fatal. Que n’avons-nous pas essayé, tenté, arraché, malmené, pour lui ? Car ce baiser, loin des clichés gnangnan véhiculés par la publicité et la bonne morale, est un corps à corps où s’écrit ma plus belle histoire d’amour. Mais comment ne pas ressentir la relation que nous entretenons avec la danse : attraction, répulsion, et intranquillité. Elle créée le lien entre le mouvement, espace de divagation, et ce baiser, souffle vital. Tout se rejoint d’autant plus que la bande sonore composée par Jean-Jacques Palix à partir de douze versions est un beau fil d’Ariane qui amplifie l’élégance et vient chercher ce que nous avons enfoui, perdu, par habitude, parce qu’il est peut-être trop tard ou trop tôt. Michel Kelemenis convoque l’humour pour continuer d’en rire comme lorsque nous étions adolescent. Cette chorégraphie est une quête de violence et de douceur ; on y danse ce qu’on effleure pour donner de la profondeur. Elle joue avec les apparitions et disparitions et l’éphémère fait soudainement moins peur. L’émotion me submerge : ces danseurs, tous virtuoses, font défiler mon Histoire d’amour. Leur jeu de cache-cache, de baisers volés, de ruptures et de coups de foudre, rouvre la plaie, comme une pudeur des sentiments maquillés outrageusement rouge sang(1) Ce soir, j’ai de la danse sur les lèvres.
dèc.2004
Apparaissent le vert pomme et le rose bonbon d’Agatha Ruiz de la Prada, et l’on sourit. Mais l’acidulé reste acide. Les êtres hésitent, insistent, tournent, s’enroulent, traduisant en gestes la rengaine, tant de fois entonnée, qu’est ce Besame mucho (très beau travail de compilation-composition signé Jean-Jacques Palix).
Quand la boule à facettes se met à tourner, que le cha-cha s’empare de l’admirable Séverine Bauvais, le désespoir affleure en même temps que le sourire. Et avant l’épilogue volontairement loufoque, le rouge à lèvres est carnassier sur le flanc de Raphaël Soleilhavoup, agneau parmi les loups. Alors, à condition de ne pas chercher d’autres références que sa propre intimité, ce Besame mucho peut, vraiment, profondément, toucher.
dèc.2004
L’association Agatha Ruiz de La Prada et Michel Kelemenis forme un tout : une théâtralité, une lumière, quelque chose qui génère de la place, qui donne de l’aisance, donc une possibilité d’aller au bout de soi.
Besame mucho commence par un cri une bouche trop grande ouverte par un jeu de mains étirées. La musique déchire l’espace et nous emporte sur une immobilité ; elle se tient en quatrième dans cette attitude-rictus, elle nous dit des choses sans les dire, elle se plaint, elle crie, elle aime, elle aspire. Tout à coup les choses bougent, des pas de deux, des portées, des en-dehors, des demi-tours (…).
Des baisers de lumière tapissent la soie, renvoyant la scène dans l’intimité d’une danse de salon. On se rapproche, on frissonne, on s’embrasse ; un homme-une femme, un homme-un homme, une femme-un homme, à bout de rouge à lèvres (…).
Qui n’a jamais entendu Besame mucho est Robinson Crusoë. Un refrain international qui nous trotte dans la tête, quelque chose qu’on se passe de main en main, qu’on remixe à l’infini et miracle... ça tient. Kelemenis a cet art de rattraper les choses pour les faire siennes, une attitude qui dessine la rencontre du néoclassique et du désuet (…). Pour que ça marche, il faut de la générosité et cette fois-ci, c’était cadeaux pour tout le monde.
Besame mucho est un boléro composé en 1940 par la chanteuse mexicaine Consuelo Velázquez, inspiré par un aria d’Enrique Granados. Elle est devenue l’une des chansons les plus reprise du vingtième siècle.
Des chanteurs francophones l’ont chanté : Dalida, Tino Rossi, Nana Mouskouri, Guy Marchand, Nino Ferrer, Isabelle Boulay ainsi que les plus grands ténors : Pavarotti, Placido Domingo.
Ces autres chanteurs et groupes l’ont également repris : Les Beatles, Santana, Omara Portuondo, Connie Francis, Jeane Manson, João Gilberto, Juan Garcia Esquivel.
Parmi les reprises de la musique latine : celles de Tito Puente, Perez Prado, Xavier Cugat.
Besame mucho est également devenu un standard de jazz, interprété entre autres par : Joséphine Baker, Diana Krall, Louis Armstrong, Nat King Cole, Michel Petrucciani, Michel Legrand, Herb Alpert, Danny Aiello, Dave Brubeck, Jaki Byard, Mario Lanza.
Des versions instrumentales ont ét adaptées pour l’accordéon par Aimable et Yvette Horner, le piano par Richard Clayderman, la guitare par Paco de Lucía.
Les versions utilisées dans la bande-son sont de : Los Piratas, Jeff Rian, Alfredo Triff, Georgia Pacific, Grant Green, Xavier Cugat, Dean Martin, Oscar Aleman, Los Indios, Shimizu, Tokyo Cuban Boys et Jean-Jacques Palix.
Texte original
Besame, besame mucho / Como si fuera esta noche la última vez
Besame mucho / Que tengo miedo perderte, perderte otra vez
Quiero tenerte muy cerca, mirarme en tus ojos, verte junto a mí
Piensa que tal vez, Mañana yo ya estaré, Lejos, muy lejos de ti
Besame, besame mucho / Como si fuera esta noche la última vez
Besame mucho / Que tengo miedo perderte, perderte después
Paroles des adaptations en anglais par Sunny Skylar
Besame, besame mucho / Each time I cling to your kiss, I hear music divine
Besame mucho / Hold me my darling and say that you’ll always be mine
This joy is something new / My arms enfolding you / Never knew this thrill before
Whoever thought I’d be / Holding you close to me / Whispering « It’s you I adore »
Dearest one / If you should leave me
Each little dream would take wing, and my life would be through
Besame mucho / Love me forever and make all my dreams come true
Paroles adaptées par Francis Blanche (pour Tino Rossi)
Besame, besame mucho / Embrasse-moi mon amour que je puisse oublier,
Puisqu’on se quitte / Tous mes regrets d’un bonheur fait de tant de baisers...
Oui, je sais bien qu’un beau jour on revient, Mais j’hésite, ce jour est si loin...
N’y croyons pas, disons-nous, toi et moi, Qu’on se voit pour la dernière fois...
Besame, besame mucho / Embrasse-moi, mon amour, que je puisse oublier,
Oublier le temps en fuite, Et ma chanson n’aura plus qu’un seul mot : aimer...
Paroles des adaptations par Pascal Sevran (pour Dalida)
Besame, besame mucho / Cette chanson d’autrefois je la chante pour toi
Besame, besame mucho / Comme une histoire d’amour qui ne finirait pas
On l’a chanté dans les rues / Sous des ciels inconnus et dans toute la France
On la croyait oubliée / Et pour mieux nous aimer voilà qu’elle recommence
Besame, besame mucho / Si dans un autre pays ça veut dire embrasse-moi
Besame besame mucho / Toute ma vie je voudrais la chanter avec toi
On ne demande à l’amour / Ni serment de toujours ni décor fantastique
Pour nous aimer il nous faut simplement / Quelque mots qui vont sur la musique
Besame, besame mucho / Si dans un autre pays ça veut dire embrasse-moi
Besame, besame mucho / Toute ma vie je voudrais la chanter avec toi
Besame, besame mucho...