"La fondation de Marseille est, à quelques centaines d’années près (mais vu d’ici quelle importance !), proche de la première description par Homère des fameuses sirènes. Le hasard veut que comme celles-ci, images familières de la volupté, la ville s’étire, lascive malgré l’agitation de ses artères, contre les massifs calcaires blancs, avec à son lointain le fil tendu qui sépare bleu marine et bleu azur. Comme celles-ci elle séduit, promet beaucoup...
Sa longue histoire d’indépendance capricieuse résulte d’une situation géographique lui permettant d’étendre généreusement son littoral, séparée du monde continental par un chapelet de collines. L’isolement qui en découle détermine sans aucun doute son arrogance, un trait de caractère sur lequel s’appuie la réputation déplaisante qui lui est encore faite. Or, si Marseille alimente les fantasmagories abusives, elle stimule aussi l’imaginaire et la création : elle se peint, s’écrit, se chante...
Tout ici est mosaïque hétérogène : une métropole portuaire où l’anonymat est corollaire de la diversité. Pourtant la bienvenue originelle adressée par une indigène, Gyptis, à l’étranger navigateur, Protis, se transforme souvent au fil des flux de migrations en une crainte de celui-ci. Hantée par sa naissance, Marseille apparaît simultanément honteuse et fière de son intime richesse et en cela ressemble au créateur déchiré sans cesse par l’alternance du doute et de l’affirmation : en soi, un démon assorti d’une merveille. C’est Le paradoxe de la femme-poisson.
Il reste à rappeler l’accent d’une langue de bras faite de spirales et d’étirements, il reste à peindre une sirène absorbée par le mouvement rectiligne et régulier d’un navire croisant au loin : le déplacement d’un point sur un trait infini.
Le terme d’horizon ne trouve son exactitude que face à la mer."
Michel Kelemenis
sept.1998
Le chant des sirènes de sa Femme-poisson est la promesse d’un beau voyage.
Le Sud passe d’abord par le son : des cigales, dès l’entrée en salle ; puis des cornes de brume, des chuchotements. La bande sonore ne raconte : elle est là pour l’ambiance, la toile de fond. Pour s’acquitter des cartes postales obligatoires (mer, bateau) et permettre d’aller à l’essentiel : à la danse. Une danse extrêmement pure, mûre. Une belle grammaire du ressenti, qui, par des mouvements circulaires admirablement exécutés, nous immerge dans des sensations de fluidité, de douceur, de lenteur.
Et puis c’est la ville, Marseille les néons colorés, la cité portuaire, la métropole des gens qui courent. Les danseurs traversent la scène, se croisent, se rassemblent en grappe, se séparent. Ce chapitre est plus familier, mais le souvenir du 1er épisode perdure, épisode-phare d’un voyage au bout d’une Méditerranée, nocturne et intimiste.
sept.1998
Un regard coloré et varié sur Marseille
D’entrée le spectateur est frappé par ce mobile, sculpture métallique supportant une galère antique peinte en rouge, élément captif et tournoyant signé Benoit Petit. Des surprises, le spectacle en est truffé, comme la très belle partition sonore et musicales, riche et variée de Christian Zanési ; les costumes de Kenzo Takada, explosions de couleurs et de formes. Mais l’important c’est la danse : un ballet velouté à consonance orientaliste, entre un trio de sirènes et un quatuor de marins couleur gris-blanc de la cité phocéenne. Beaucoup de mouvements pour une allégorie du mariage entre Protis et Gyptis. De nombreux petits gestes inventifs qui ponctuent l’écriture aboutie, et des points d’humour subtils, alternant avec des moments de paix, de douceur, rythmés par le sac et le ressac. Féminine et masculine, Marseille se dévoile ainsi dans un prisme respectueux ou facétieux, sans clichés, mais grâce à des instantanés dans les yeux d’un Kelemenis que l’on devine attentif à sa ville.