"Une maison se visite, dans laquelle, fantomatique, apparaît la femme, un peu comme si les murs transpiraient un souvenir lointain, ou le parfum encore frais de son dernier passage.
De l’état très humain d’un individu en quête de l’autre et de lui-même, à celui plus distant de danseur incarnant plus qu’il n’évoque les passions de l’être, ce sont cinq corps pour un seul homme qui écrivent une correspondance teintée d’amour quotidien. Puisant son origine dans l’absence, la lettre est par nature introspective, parfois tourmentée, souvent en quête d’élévation et toujours tendre. Son émanation dansée traduit l’écho de scènes vécues et s’achève, comme la dernière page d’un journal intime, dans la sérénité d’une solitude apaisée."
Michel Kelemenis
fév.1996
La lettre affranchie de Kelemenis
Ils sont 5 danseurs pour des échappées belles solitaires, des solos qui ne jouent pas sur la performance individuelle ou sur le spectaculaire mais qui se lisent comme des notes personnelles griffonnées à la mine de plomb, dans la nuit des cigales, en attendant l’orage. Ils sont 5 danseurs pour un quintette troublant qui rappelle que le corps du danseur est traversé par un courant tout autant masculin que féminin. (…) On se situe dans un univers de l’écriture, donc de la fiction où l’intime n’a pas renoncé à se dire. Mais c’est une pièce qui réactive une idée de la danse selon laquelle elle est un langage à part entière qui ne se traduit pas, n’illustre pas autre chose qu’elle-même et propose sa propre grammaire, orthographe et syntaxe.
Surtout lorsqu’elle est portée, et c’est le cas, par des interprètes qui savent utiliser le vocabulaire, qu’il soit classique ou qu’il se nourrisse d’inventions personnelles.
avr.1996
La création de Kelemenis se reçoit comme une lettre, comme un fragment et rassemble tous les éléments qui constituent la vie. Le quintette d’hommes, avec ses fragilités rêveuses, ses processions gamines où chaque danseur, poings serrés devant le visage, sautille en avançant commun apprenti-danseur, se place clairement sous le registre de l’ambigüité sexuelle dès son titre et sa subtilité orthographique. La correspondance, dont la lecture rythme la pièce, entretient à dessein l’équivoque ; il est impossible de savoir avec certitude si l’interlocuteur est masculin ou féminin. Le chorégraphe se plait même à égarer le spectateur : les photos sur les panneaux roulants qui dessinent l’espace représentent une femme, lointaine, et d’autant plus troublante. C’est le vocabulaire chorégraphique qui est lui-même ambigu. Riche et volontiers sophistiquée, souvent virtuose, la danse est épurée dans de grands mouvements souvent ralentis à l’extrême, subissant des accélérations vigoureuses ; elle est burlesque, théâtralisée et presque naturaliste. Elle traduit parfaitement, dans sa structure même, l’impossibilité des certitudes.