"Triptyque païen sur la relation de l’humain au divin, elle met en scène successivement des dieux improbables, nommés Chevilles ailées, Douce océanine, Ciel étoilé ou encore Nu abandonné, puis d’humbles terriens dans leurs duels belliqueux ou amoureux, et enfin une représentation allégorique de Pégase, destrier mythologique de Bellérophon qui atteint sans son cavalier le domaine des dieux. Le cheval ailé et magique, aussi rapide que le vent, inspira des qualités gestuelles amples et sensuelles, spiralées et malines, laissant parfois place à la vibration délicate de nageoires d’hippocampes, ou à la figuration simple et poétique d’un envol. Notre question était alors de connaître la température du vide."
Michel Kelemenis, mars 1990
1990
À "Vaste ciel", grande émotion
Une technique difficile pour une danse généreuse et grave, sur fond de décors lumineux, c’est "Vaste ciel" le nouveau spectacle de Michel Kelemenis.
Un sourire de Canebière, un corps à la Michel-Ange, un regard tranquille, une attitude réceptive, la réplique facile et la chorégraphie subtile, Michel Kelemenis n’est pas un inconnu pour le public de la danse contemporaine. Vaste ciel !! son prochain spectacle devrait confirmer un talent vif et une personnalité riche et rayonnante.
Il y a un an, il dansait Faune Fomitch, un solo sensuel dédié à Nijinsky, et quelques autres duos ou quatuors de sa composition qui le firent remarquer. Ce jeune chorégraphe indépendant est devenu l’un des éléments vigoureux d’une relève improbable après le front Gallotta, Bagouet, Larrieu et les secondes lignes : Preljocaj, Nadj et Monnier. Aujourd’hui, il signe sa première vraie "grande" pièce qu’il place sous de célestes augures peuplés d’amours trublions : deux filles et quatre garçons, qui répondent aux doux noms d’Ardente Nature, de Vaste Océanide, de Héros Sublime, de Nu Abandonné, de Sandale Ailée et de Ciel Etoilé, tout un programme. Les costumes sont à la mesure des patronymes et sont réalisés par Dominique Fabrègue qui n’a plus rien à envier aux "moulés" d’Alaya. Ils sont conçus selon une technique d’enroulement de l’étoffe en une seule pièce, qui crée comme un seconde peau sur ces corps dénudés.
A l’instar de ses petits camarades chorégraphes, Michel Kelemenis est peu attiré par les effets de théâtre et n’aime pas raconter des histoires avec la danse. Même si son spectacle se divise en trois parties : Vaste ciel !!, Mère des brebis et Le passeur. En cela il reste sous l’influence de son maître et ami Dominique Bagouet, et de son passage au centre chorégraphique national de Montpellier dirigé par ce dernier. Il a gardé un certain goût pour l’abstraction narrative, cette expression, chère à la nouvelle danse, qui fait que chaque geste s’incarne dans une pensée sans jamais s’inscrire dans une histoire.
Justement, pour se défier des arguments et des interprétations trop littérales, Michel Kelemenis jette tout son monde dans un mouvement éperdu et tente de fabriquer des émotions d’ordre purement physique. Il en résulte une danse exagérément chorégraphiée, comme il aime à le dire, dont la complexité fait s’oublier chaque interprète dans la gestuelle, une danse qui "bouge" beaucoup, écrite par quelqu’un qui n’a pas oublié qu’il fut gymnaste auparavant, une danse difficile techniquement qui demande au cerveau d’être également un muscle avant que de gérer l’intendance de la machine corporelle.
Côté image et médias, Kelemenis traite sa carrière à la marseillaise et sait bien que son accent déride les plus réticents. Pour si peu que la danse contemporaine soit présente au petit écran, il se débrouille toujours pour faire partie des happy few, et nous ne le lui reprocherons pas... Le 13 mars, c’est chez Frédéric Mitterrand et le 14 mars dans Mille bravos, sur FR3 qu’il assure en direct, avec ses danseurs, la promotion de son prochain spectacle. Ne le ratez pas ! Comme il a plus d’un tour dans son sac, il a également accepté que Vaste ciel !! soit le sujet de la première exposition d’une nouvelle agence de photographie composée d’objectifs célèbres, tous plus ou moins transfuges de la agence Vu.
En effet, ce sont Xavier Lambours, Luc Choquer, Martine Voyeux, Marie-Paule Nègre, Pascale Dolémieux, regroupés sous le nom de Métis Images, rejoints par la graphiste Florence Miailhe, qui rendront compte en image de cette production chorégraphique. Tandis que Lambours déforme les corps en travellings coulés et que Martine Voyeux s’intéresse au geste pur (cf photos de l’article en diaporama), Dolémieux met en scène les costumes et Choquer traque le public de la danse chez lui. Enfin Nègre et Miailhe se penchent sur la vie quotidienne de chaque interprète. Commandée par l’Agora d’Evry, où la compagnie Kelemenis réside, l’expo sera montée par la galerie du théâtre et promet de livrer un regard différent sur une danse de toute façon peu banale. Une soirée pas comme les autres, quoi !
24 mars.1990
Si l’on peut ressentir ce Vaste ciel !! comme une touche de fraîcheur dans la danse contemporaine, il n’en demeure pas moins que la chorégraphie chez Michel Kelemenis est histoire de structure. Il prend plaisir à peaufiner le détail, jusqu’aux extrémités des mains, porteuse de tout un alphabet, de signes qui seraient émis sans pourtant faire référence à un code. Cela pourrait s’appeler poésie, sans pittoresque. Mais ce qui étonne le plus chez ce chorégraphe, c’est sa façon de passer de l’immobilité à l’explosion d’énergie sans toutefois qu’il soit question de rétention. Cette chorégraphie est d’autant plus probante, malgré sa jeunesse, que Kelemenis sait s’entourer Gilles grand, le compositeur, fête ses noces avec Jimi Hendrix. Le couple est démoniaque comme une corde qu’on trempe dans l’acide, doux comme une sensualité retrouvée après la déchirure. Le souci du détail là encore. De même les costumes de Dominique Fabrègue, les décors de Christine Le Moigne et la qualité des danseurs amplifient cette complicité dans le pointillisme à la Seurat. Ce Vaste ciel !! est superbe comme une nouvelle langue latine qui a le souci du déplacement de l’accent tonique, le nerf à vif du parler.